Outlander, pourquoi est-il plus explicite en anglais?
Dans les coulisses de la traduction
Voici un extrait intégral du blogue qu’une des employés de Stevenson a rédigé sur la série très prisée Outlander. Son analyse met en lumière des faits très intéressants qui vous laisseront perplexes. Le but du blogue est de vous montrer que les traducteurs ne sont pas les seuls à prendre des décisions sur les textes traduits, et que la langue et la culture d’arrivées ont une grande incidence sur le résultat. Avant de lire les faits les plus criants de cette analyse, découvrez ce qui se passe parfois en coulisse. Bonne lecture.
Des passages complets retirés de la version francophone
La traduction du roman Le chardon et le tartan de Diana Gabaldon a certes été condensée, mais il s’avère que la maison d’édition française Presses de la Cité, qui a publié la première édition de la série Outlander, a également retiré des passages complets dans la traduction! Quel a été mon désarroi quand j’ai découvert cela! Fait d’autant plus intéressant quand on se rend compte que ce sont les scènes érotiques qui ont le plus écopé… Entre les pages 300 et 308, 328 et 331, et 834 et 836 de l’édition de Libre Expression (l’édition à l’étude), on retrouve des extraits qui sont absents dans la version traduite. Mais pourquoi retirer des pages entières de l’histoire? Et pourquoi ces extraits en particulier?
On sait que la maison d’édition craignait que le public français n’achète pas le livre s’il était trop long. Cela explique — mais n’excuse pas — la disparition de ces passages. Mais alors, pourquoi choisir expressément des extraits où les personnages s’ébattent dans la clairière ou au bord de l’âtre pour manifester leur amour et leur passion mutuels? Serait-ce parce que les éditeurs ne voyaient pas l’apport à l’histoire dans ces scènes? Ou serait-ce par peur que le public soit choqué par une trop grande place offerte à la sexualité dans le roman?
On ne peut que supposer, mais il serait surprenant que cette idée provienne du traducteur. En effet, dans son entrevue pour OutlanderFrance, M. Safavi affirme avoir tout traduit et qu’« [a]près il y a eu des coupes de la part des éditeurs, mais c’était vraiment ce qu’ils voulaient. Ensuite ils ont arrêté, parce qu’ils ont du [sic] recevoir pas mal de plaintes. » Je ne suis donc pas la seule à être outrée de cette décision; le traducteur lui-même semble en désapprouver l’ampleur : « Mais il ne s’agit pas de couper des passages, attention! ». Ce n’est pas surprenant quand on sait qu’il a déjà traduit plusieurs romans érotiques.
On peut supposer qu’avec ce bagage professionnel, M. Safavi comprenait que les scènes érotiques dans Outlander n’étaient pas sans intérêt et enlevaient quelque chose au récit si elles étaient omises. Certes, l’histoire se déroule bien sans, mais on perd dans la traduction une certaine magie, car les scènes érotiques contribuent à solidifier la relation entre les personnages principaux, à les rendre plus humains, plus attachants et plus soudés. Car il n’y a pas que les déboires d’un personnage qui puissent nous inspirer de la sympathie; l’amour et sa manifestation physique, la sexualité, peuvent le rendre aussi vivant et attachant.
Pourquoi s’en prendre surtout aux scènes intimes?
Jetons donc un œil aux scènes intimes qui ont été omises dans Le chardon et le tartan. Entre les pages 300 et 308, Claire et Jamie s’aventurent derrière l’auberge dans des clairières, où ils pêchent, se parlent et enfin, font l’amour. Certes, ce moment n’apporte pas grand-chose au fil des événements et n’influence en rien l’issue de l’histoire, mais il est très important dans l’évolution de la relation entre Claire et Jamie.
En effet, on voit qu’il y a encore une certaine gêne entre eux, qu’ils parviennent à éclipser en se touchant. On voit aussi que Claire pense encore à retourner dans son temps rejoindre son premier mari, Frank, mais qu’elle commence à tomber véritablement amoureuse de Jamie par la même occasion. Elle commence à réaliser qu’elle est tout de même heureuse dans cette nouvelle vie. L’évolution psychologique et relationnelle des personnages se trouve bonifiée dans ce passage, ce qui les rend encore plus authentiques, plus vivants. Il est dommage de priver les lecteurs francophones de ce moment intime et romantique, conflictuel et attendrissant.
Le deuxième extrait, contenu entre les pages 328 et 331, décrit une scène érotique où Claire et Jamie échangent des propos loufoques et s’esclaffent en cœur tout en se faisant mutuellement plaisir. Encore une fois, elle ne comporte aucun élément essentiel au déroulement de l’histoire, mais on y voit un peu plus de Claire et de Jamie, leurs pensées, leurs expressions, leur complicité. La scène contribue à leur relation et renforce l’attachement que le lecteur peut ressentir envers les personnages, ce qui l’incite sans aucun doute à poursuivre sa lecture, à s’investir dans l’histoire.
Enfin, l’extrait entre les pages 834 et 836 décrit une scène érotique du couple, après que Jamie ait été arraché aux griffes de Randall, sauvé de la prison de Wentworth. On les retrouve à l’abbaye de Sainte-Anne de Beaupré, en France, où Jamie se remet tranquillement du voyage en mer qui les y a conduits (il a le mal de mer) et des blessures physiques et psychologiques que Randall lui a infligées. Il n’est donc pas en très bon état physiquement. Malgré tout, lui et Claire font l’amour cette nuit-là, d’une manière qui n’a rien de bestial, mais qui est au contraire tendre, complice, où l’un répond à l’autre et comble les lacunes de l’autre. Il s’agit d’une véritable démonstration d’entraide, d’union, de dévouement oblatif des deux côtés.
C’est la manifestation physique de la relation entre Claire et Jamie, qui tour à tour se sauvent la vie tout au long du récit, qui se soutiennent mutuellement et se dévouent l’un à l’autre entièrement, contre vents et marées. Il est vrai qu’il y a au cours du roman plusieurs manifestations physiques de l’amour entre ces personnages, mais rien ne justifie selon moi qu’on supprime l’extrait dont on parle ici. Effectivement, dans cet extrait, Jamie est mal en point. Pourtant, la seule chose à laquelle il pense, la seule chose dont il ait envie, c’est être avec Claire et lui faire l’amour :
“But I woke with my hand painin’ me and couldna go back to sleep. I was tossing about, feeling lonely for ye. The more I thought about ye, the more I wanted ye, and I was halfway down the corridor before I thought to worry about what I was going to do when I got here.”
GABALDON, Diana. Outlander, Seal books, 1991, États-Unis, p. 835.
Ainsi, on voit que son désir est tel qu’il fait agir son corps contre sa raison, malgré l’état lamentable dans lequel il se trouve. D’ailleurs, l’acte lui-même lui est dangereux dans sa condition, mais le désir et l’amour qu’il éprouve sont si intenses qu’il risque sa vie pour pouvoir se blottir au plus profond de Claire :
“Were ye afraid for me?” he asked.
Ibid.
“Yes,” I said. “I thought it was too soon.”
He laughed softly in the dark. “It was; I almost killed myself. Aye, I was afraid too. […]”
On comprend donc que l’amour et le désir que Jamie éprouve pour Claire sont assez intenses pour qu’il risque sa propre vie dans le but de les lui démontrer. Sa vulnérabilité et son état précaire amplifient l’intensité de l’acte sexuel — qui est dans ce cas-ci un véritable acte d’amour — dans cette scène où se joue un équilibre entre son désir et sa faiblesse, équilibre que vient compléter Claire. Aucun des deux n’a le dessus sur l’autre; il s’agit véritablement d’un acte fusionnel auquel tous deux participent à parts égales.
Je crois que c’est dommage que l’on perde ce moment en français, cet acte de communion où les rôles « traditionnels » de l’homme et de la femme dans l’acte sexuel sont en quelque sorte estompés. Sans changer le cours de cette histoire, ces extraits amènent des nuances dans les relations entre les personnages, et cette relation entre Claire et Jamie n’est-elle pas la raison précise pour laquelle Outlander est une série si prisée? Sans compter leurs ébats déchaînés et passionnés.
Enfin, il est décevant de constater que la maison d’édition ait coupé d’aussi longs passages, surtout en sachant que ces passages avaient été traduits. Le tabou qui entoure la sexualité dans le contexte de la littérature a ici été plus fort que le respect de l’œuvre originale… Peut-être les éditeurs se sont-ils dit que l’omission de scènes érotiques n’enlèverait rien à l’œuvre?
Traduction des scènes érotiques
Si vous aimez Outlander, vous êtes peut-être de ceux et celles qui éprouvent le plaisir coupable d’assister aux scènes érotiques entre les deux héros de la série – et quelles scènes! Évidemment, ce genre de moment en littérature est plutôt délicat, et toutes les langues ne le traitent pas de la même manière… Vous aurez peut-être remarqué au cours de vos lectures que l’érotisme n’a pas nécessairement le même effet dans notre langue française qu’en langue anglaise originale.
C’est ce sur quoi nous nous pencherons dans la prochaine publication… Gardez vos sens à l’affût!
Fanny Houle, traductrice
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